Michèle Lempereur, belle amie

Du marché public pour la construction d’un nouvel incinérateur à Herstal aux Éditions de l’Avenir rachetées par Nethys en 2014, en passant par le chancre liégeois de Bavière, le nom de la très influente et très discrète Michèle Lempereur se retrouve vite en bas de bien des contrats de la région liégeoise. Veuve de Guy Mathot, en couple depuis dix ans avec Willy Demeyer, les activités de cette VRP de luxe en échappent d’autant moins aux polémiques. Alors, simple lobbyiste indépendante au carnet d’adresses fourni ou liaison véritablement dangereuse ?

[:fr]La chanson qui, à l’automne 1999, ouvre le bal du bourgmestre de Seraing est taillée sur mesure pour le socialiste Guy Mathot et celle qui se balance à son bras au milieu de centaines d’invités. Interprétée par Frank Sinatra, My Way met en rimes les pensées d’un quinquagénaire qui se satisfait d’une vie pleine et entière, avec son flot de doutes et de regrets. Une vie « vécue à ma façon ».

Accrochée à celui qui fut ministre régional et fédéral, vice-Premier aux côtés de Wilfried Martens puis de Mark Eyskens, sénateur, député et bourgmestre, inculpé puis absous, sa seconde épouse : Michèle Camille Anny Lempereur, née le 16 avril 1961 à Ougrée. Ces images, capturées par l’équipe de Strip-Tease, sont vraisemblablement les premières de Michèle Lempereur et Guy Mathot.

La reine du bal est née sous le signe du bélier. Une figure astrologique qui lui colle à la peau : « C’est un rouleau compresseur », assure l’homme d’affaires André Van Hecke, ancien administrateur délégué du Cercle de Wallonie, où Michèle fait partie du Comité exécutif. Chez elle, pas le temps et encore moins le tempérament pour regarder la vie se dérouler sur grand écran. Non, l’argent, le pouvoir, les journées palpitantes, elle refuse d’y goûter par procuration. Et tant pis si ça agace.

Michèle Lempereur aime les hommes de pouvoir. Des bras du bourgmestre de la Cité du fer, en 1996, à ceux du mayeur de la Cité ardente, en 2007, elle est en réalité passée d’un président de la Fédération liégeoise du PS à un autre. Insaisissable femme d’affaires, influente mais toujours discrète, avançant à tâtons sur la délicate crête entre business et politique, l’actuelle compagne de Willy Demeyer (PS) ne se laisse pas cerner facilement. Deux tentatives antérieures de brosser son portrait pour Wilfried ont échoué. Confrontés à des pressions plus ou moins subtiles, les journalistes ont jeté l’éponge, craignant pour la pérennité de certaines de leurs collaborations. Mais Wilfried est aussi tenace qu’elle est farouche.

Michèle Lempereur a grandi à Neuville-en-Condroz, dans une modeste maison qu’occupe toujours sa mère, 92 ans aujourd’hui. « Elle était femme de ménage – on dirait aujourd’hui technicienne de surface », se souvient-elle. Une maman « exceptionnelle », confirme une amie. Une femme qui a bu sa première coupe de champagne à 65 ans, effectué son premier saut en parachute à 89 ans. Le père, employé chez Cockerill-Sambre, est décédé au mitan de la soixantaine. Il lui a laissé en héritage, dit-elle, le « sens du social ». Un avant-goût de la politique aussi. « Il était secrétaire du CPAS à Neuville-en Condroz. Je l’accompagnais dans les rues du village pour distribuer des coupons que les moins chanceux pouvaient échanger contre des colis alimentaires. Le soir, il y avait des réunions politiques à la maison. Puis, je ne me suis plus intéressée à la chose politique jusqu’à mes 35 ans, lorsque j’ai rencontré Guy. Après son décès en 2005, on m’a proposé une place sur la liste PS à Neupré. J’ai réfléchi. J’ai refusé. »

Après ses classes primaires à Seraing, elle rejoint l’athénée de Spa. «Parce que j’étais rebelle, se souvient-elle, je voulais m’éloigner de la maison. » Ensuite, ce sera l’école d’infirmerie du Barbou, à Liège, où elle ne restera que quelques semaines : à l’âge de 19 ans, elle tombe sous le charme de Michaël, de 13 ans son aîné, qu’elle décrit comme «brillant », « cultivé » et « charismatique ». « Il était en instance de divorce avec trois enfants, autant dire que ça n’a pas fait plaisir à mes parents. D’autant que je suis tombée enceinte, que j’ai arrêté mes études et quitté la maison familiale. » Sur cette longue relation de 14 ans, elle ne s’épanche pas. Elle la qualifie de « toxique ». Seule trace officielle de ce passé : le nom de Lempereur apparaît au Moniteur, en avril 1983, comme fondatrice – elle investit 1 000 francs belges (25 euros) – et administratrice d’une carrosserie sérésienne fondée par le beau-père de son compagnon, qui fera faillite quatre ans plus tard. Elle a 22 ans et agit comme prête-nom pour son turbulent bien-aimé. De ce passé enfoui, elle se réjouit surtout, et seulement, de la naissance de son premier enfant, Pierre-Alain. Il vient de fêter ses 37 ans et travaille dans la menuiserie d’un vieil ami de Guy Mathot.

Il y aura aussi, bien plus tard, une fille, Julie. Mais dont les racines plongent au milieu des années 1980, lorsque sa future mère se présente, aux côtés de dizaines d’autres postulants, à un entretien d’embauche pour les laboratoires pharmaceutiques Labaz-Sanofi. Une de ces bifurcations qui jalonnent l’existence et qui, en catimini, en déterminent bien d’autres. « C’est à ce moment que je suis devenue déléguée médicale. » Elle visite alors les hôpitaux avec sa Renault 4L bleu marine d’occase jusqu’à ses 37 ans. « Déléguée, c’est un métier exigeant, mais c’est une excellente école de vente qui lui a bien servi par la suite », glisse André Van Hecke. Ce chapitre apparaît comme un tournant décisif. Sans cette longue expérience de commis voyageur, Michèle Lempereur n’aurait pas rencontré Guy Mathot, n’aurait jamais tangué avec lui sur des airs de Sinatra, Julie ne serait pas née en 1996, et aucun journaliste n’aurait songé à dresser le portrait de Michèle Lempereur-Mathot-Demeyer.

« Quand on m’aime, on me prend, moi, à plein temps, avec ma famille, mes chiens. Guy a accepté, mais à la condition qu’on se marie. Il ne voulait pas qu’on dise de moi que j’étais la “poule à Mathot”. »

En 1994, Guy Mathot a été, comme Guy Coëme et Guy Spitaels, politiquement décapité par les pales d’un hélicoptère Agusta : mis au jour par la cellule policière qui enquêtait sur l’assassinat d’André Cools, ce dossier boueux entraîne notamment la démission brutale des « trois Guy ». La justice mettra finalement Guy Mathot hors de cause, au contraire des deux autres. À l’époque, cependant, inculpé de corruption passive et privé de la plupart de ses mandats, celui qui reste malgré tout le premier homme de Seraing n’est pas au mieux de sa forme. « Fin 95 ou début 96, je ne sais plus, j’étais allée chez Cha-Cha, un restaurant d’Ivoz-Ramet, afin d’y organiser un souper avec des amis médecins, se souvient celle qui deviendra la seconde “Madame Mathot”. Le patron m’a présentée à Guy, qui était alors président de l’hôpital du Bois de l’Abbaye. Il était brillant, et j’aime les hommes brillants. » Très vite, elle est enceinte. Elle a 35 ans, lui 55. Le 1er juin 1996, c’est le mariage. Chez Cha-Cha, en bord de Meuse liégeoise, où tout avait commencé quelques mois plus tôt. Puis en comité restreint au Chêne Madame, repaire gastro sur les hauteurs de Seraing. « Je suis arrivée à un moment de sa vie où Guy était meurtri et songeait à abandonner la politique. Il était marié mais sortait avec Mamine Pirotte [figure emblématique de la RTBF, décédée en février 2017, ndlr]. Je ne voulais pas être une briseuse de ménage. Quand on m’aime, on me prend, moi, à plein temps, avec ma famille, mes chiens. Il a accepté, mais à la condition qu’on se marie. Il ne voulait pas qu’on dise de moi que j’étais la “poule à Mathot”. »

En septembre 1996, c’est la naissance de Julie. Puis débutera une nouvelle carrière. Avec son mari et d’autres, elle fonde Eurociel S.A., en avril 1999, et dirige ce qui s’appelle alors Radio Ciel, deviendra Ciel FM, Twizz puis DH Radio. C’est aussi le début d’une longue amitié avec François le Hodey, à la tête du groupe de médias IPM (La Libre BelgiqueLa Dernière Heure), qui devient actionnaire majoritaire de Ciel FM à la fin 2004. Michèle Lempereur est aujourd’hui encore commerciale pour le groupe IPM et organise notamment des conférences pour les lecteurs de La Libre.

Commerciale ? Lobbyiste ? Facilitatrice ? Consultante ? Du marché public pour la construction d’un nouvel incinérateur à Herstal, aux Éditions de l’Avenir rachetées par Nethys en 2014, en passant par le chancre liégeois de Bavière, le nom de Michèle Lempereur se retrouve très vite en bas de bien des contrats. Et au cœur de quelques polémiques. « Mon métier, se décrit-elle, ce sont les relations publiques. Je suis douée pour ça. J’ai un excellent sens des relations, de la diplomatie, un esprit de synthèse, de l’originalité. » Elle se qualifie de « slasheuse », qui définit, continue-t-elle en parcourant ses notes, «une personne qui jongle avec plusieurs activités professionnelles par choix, qui cumule plusieurs métiers ».

« À l’époque de Guy Mathot, elle était bien protégée, bien dans sa peau, elle ne manquait de rien, partait en voyage, se distrayait dans leur maison de Saint-Raphaël, raconte André Van Hecke. Une fois que Guy est décédé, comme elle voulait garder un certain confort, continuer à s’offrir de jolis vêtements, il a fallu qu’elle réagisse. Sa motivation, c’est son indépendance financière. » Guy et son carnet d’adresses lui ont prêté main-forte. L’ancien bourgmestre de Seraing, admet-elle, lui a beaucoup appris : « Je l’accompagnais très souvent, ça m’a permis de rencontrer énormément de monde. C’était un amour fusionnel, il veillait sur moi, je veillais sur lui. »

Est-ce avec la bienveillance de son mari, qui a alors été blanchi par la justice et a retrouvé tout son pouvoir en région liégeoise, qu’elle s’immisce en 2004 dans le marché qu’a lancé l’intercommunale Intradel pour la construction d’un incinérateur à 200 millions d’euros ? C’est, dit-elle, l’entrepreneur liégeois Georges Moury, dont le beau-frère travaille à la CNIM (Constructions navales et industrielles de la Méditerranée), qui l’aurait mise en contact avec ce soumissionnaire. «Ma mission était de donner des conseils stratégiques à la CNIM, qui convoitait le marché. » En septembre 2004, une convention de cinq pages – dont Wilfried s’est procuré une copie – est nouée entre la CNIM et Wallonie Promotion et Communication, une des sociétés de Michèle Lempereur. Parallèlement, la CNIM embauche Guy Coëme. Des missions à quelques milliers d’euros, mais qui tournent court : l’offre du concurrent Inova l’emporte.

À la même époque, Alain Mathot, son beau-fils, qui siège au parlement fédéral, aurait proposé ses services de lobbyiste au directeur d’Inova France, Philippe Leroy, contre deux millions d’euros. Inculpé de corruption, Alain Mathot dément et accuse Leroy de diffamation. Michèle Lempereur promet qu’elle n’a jamais eu vent des éventuelles relations entre son beau-fils et Inova, le concurrent de son propre client, la CNIM : « J’ai tout découvert dans la presse, des années plus tard », jure-t-elle. Quoi qu’il en soit, sa mission pour la CNIM aura été rendue plus compliquée encore par l’état de santé de son mari : « Dans les faits, ma mission n’avait même pas débuté car, fin 2004, je vivais une situation personnelle difficile », expliquera-t-elle, six ans plus tard, aux enquêteurs qui tentent de retracer l’historique du marché de l’incinérateur. Guy Mathot souffre déjà d’une insuffisance rénale grave. Il est en attente d’une greffe. Puis, à l’automne 2004, les médecins lui découvrent un cancer du côlon. Virulent. Le 21 février 2005, en début d’après-midi, Guy Mathot s’éteint à l’hôpital de la Citadelle, à Liège. Michèle Lempereur a 43 ans.

C’est au notaire Paul-Arthur Coëme qu’il revient de partager les biens du défunt entre ses deux enfants Alain et Julie, et sa veuve Michèle. Cette dernière continuera à habiter la maison familiale de la rue Curie, à Seraing, qui ne figure pas dans la succession. L’essentiel de celle-ci est constitué du produit de la vente de la villa de Saint-Raphaël, cédée par Guy Mathot, quatre jours avant de trépasser, pour 500 000 euros à un ami – celui-là même qui a embauché le fils aîné de Michèle Lempereur dans sa menuiserie. S’y ajoutent quelques dizaines de milliers d’euros répartis sur neuf comptes bancaires, un maigre mobilier, 25 euros d’argent liquide. Une fois les dettes du défunt épongées, Michèle Lempereur héritera de 90 000 euros, Julie 103 000 et Alain 105 000. Pas de quoi mener une vie de rentier.

Après un court intérim assumé par le fidèle Jacques Vandebosch, Alain Mathot – qui est député fédéral depuis 2003 – devient bourgmestre de Seraing en 2006, marchant de plus en plus sur les traces du paternel. Michèle reprend son émancipation, qui rime toujours avec public relations. « Plutôt que féministe, je suis égalitariste et progressiste, dit-elle. Je ne veux pas dépendre d’un homme, que ce soit financièrement ou moralement. Les femmes doivent se respecter et se faire respecter. » Sans éluder cette réalité malheureuse : il est souvent plus difficile pour les femmes de décrocher la lune sans un homme pour les aider à se placer en orbite. C’est entre autres parce que Guy Mathot lui a fait la courte-échelle qu’elle a pris la tête de Radio Ciel puis s’est lancée comme consultante de choc en région liégeoise et au-delà.

À la fin de l’année 2007, elle se rapproche de Willy Demeyer. « Willy, je le connaissais depuis longtemps. Après le décès de Guy, il prenait régulièrement de mes nouvelles. Ça me touchait. Quand j’ai appris que son épouse l’avait quitté, je me suis aussi inquiétée pour lui. C’est un homme rassurant, respectueux. » Évoquant celle qui partage sa vie, mais pas son toit, le bourgmestre liégeois dresse le portrait d’une «femme gentille, qui est une bonne personne, qui aime sincèrement les gens et connaît les contraintes qu’il y a à vivre avec un homme politique ». Le couple vient de franchir le cap symbolique des dix ans. Mais ne l’a pas fêté.

Willy habite Jupille. Michèle vit à Seraing. Les choses auraient pu tourner autrement : en 2012, Michèle Lempereur s’entiche d’un immeuble tout en rondeurs situé près du pont de Fragnée, à Liège, là où l’Ourthe se jette élégamment dans la Meuse. Les deux appartements du dernier étage, offrant l’une des plus belles vues sur la Cité ardente, sont en vente. Ironie : ils sont voisins de l’appartement qu’occupait alors Mamine Pirotte, ancienne amie de Guy Mathot. Michèle Lempereur les achète tous les deux : l’un en son nom, l’autre pour le compte de sa société Konecto – 352 000 euros de « Terrains et constructions » surgissent dans le bilan 2012 de la société anonyme. Elle les transforme pour en faire un confortable loft de trois cents mètres carrés et en confie l’aménagement à un décorateur liégeois. Mais Willy rechigne à y emménager. « Je ne m’y suis finalement domiciliée que quelques mois. Cela m’a permis de voter pour Willy aux communales d’octobre 2012. Puis, à la demande de ma fille Julie, nous sommes retournées vivre dans la maison de Seraing. »

Leurs patrimoines, insistent-ils l’un et l’autre, sont distincts. Le répéter n’a rien d’une coquetterie. Business et politique font rarement bon ménage. Et ce ménage-là, justement, n’échappe pas toujours à la suspicion. Le dossier Bavière, du nom de cet hôpital liégeois qui fut démoli à la fin des années 1980, est symptomatique de ce malaise. L’enjeu : la reconversion d’une friche de neuf mille mètres carrés sur la rive droite de la Meuse, autour de laquelle des promoteurs ont vainement bataillé plus de trente ans. En 2011, la société Himmos cherche à se débarrasser de cette encombrante parcelle et se tourne vers l’ancien ministre fédéral socialiste Didier Donfut, qui s’allie à Michèle Lempereur. « Ma mission de conseil stratégique a fait l’objet d’un contrat en juin de la même année, explique-t-elle. Il visait à identifier, convaincre et connecter les meilleurs partenaires potentiels. Je trouvais honteux de laisser le terrain dans cet état-là, et je le leur ai dit. »

Elle partagera équitablement son success fee de 400 000 euros avec Didier Donfut, qui a pris en charge les aspects urbanistiques et environnementaux du dossier. Une rémunération qui aurait couvert «plus d’une année de travail » et permis de rassembler autour de la table les actuels propriétaires du site : le promoteur Yves Bacquelaine (frère du ministre MR des Pensions), les sociétés de construction BAM, BPI et Thomas & Piron, ainsi que le fonds de pension Ogeo Fund, qui gère notamment les retraites de Publifin. La Province de Liège s’est déjà engagée à y déménager sa bibliothèque centrale et la Ville y fera notamment construire un nouveau commissariat.

Elle ne voit pas malice à avoir été commissionnée sur la vente d’un terrain qu’occupera partiellement la Ville de Liège, dirigée par son compagnon. « Willy et moi sommes très prudents, je n’ai pas envie de salir son image. Notre relation est plus un handicap qu’un avantage. Je n’ai pas autant de liberté pour choisir mes clients que si j’étais avec un dentiste. » Un témoin rapporte néanmoins l’avoir vue, bien après l’achèvement supposé de sa mission, assister à des réunions de présentation et de coordination du projet Bavière. La première en juin 2014, au musée du Grand Curtius. La seconde au début de l’année 2015, lors d’une réunion technique rue Sainte-Marie chez Assar, le bureau d’architecture qui pilote le projet. « On ne savait pas ce qu’elle faisait là, qui elle représentait, à qui elle rapportait ce qu’elle entendait… Des fonctionnaires de la Ville s’en sont plaints auprès des échevins responsables. On ne l’a plus jamais revue depuis. » Un témoignage que réfute la principale intéressée : « Je ne me suis plus occupée du projet après 2012, ma mission était terminée », jure-t-elle.

« Plutôt que féministe, je suis égalitariste. Je ne veux pas dépendre d’un homme, que ce soit financièrement ou moralement. Les femmes doivent se respecter et se faire respecter. »

Points d’interrogation et de suspension ont longtemps aussi entouré son siège d’administratrice à Liège Airport, contrôlé par Nethys : bien que ne détenant aucun mandat politique, elle y fut désignée en mai 2008 par le gouvernement wallon. En décembre 2014, le conseil d’administration de l’aéroport, dont elle fait donc partie, décide de construire un hôtel pour chevaux à 2,6 millions d’euros en bordure des pistes. À cette époque déjà, plus de 3 000 pur-sang transitent par Bierset chaque année. Des montures auxquelles il faut offrir un hébergement à la mesure des ambitions de ceux qui vont les monter. Or, Michèle Lempereur a justement, en juin 2014, rebaptisé sa société Wallonie Promotion et Communication en « Equidream », société anonyme dont l’objet social inclut désormais la vente, le dressage, l’élevage de chevaux.

« Equidream, c’est la société qui détient le cheval que monte ma fille Julie, passionnée d’équitation. Nous sommes d’ailleurs en train de développer une gamme de compléments alimentaires pour chevaux, qui sera vendue sous le nom de Xantus. Je n’ai pas approché ce dossier d’hôtel pour chevaux, mon mandat à l’aéroport ne me rapportait que quelques centaines d’euros par an. J’étais là parce que le développement de la région liégeoise m’intéresse. » « Elle n’a pas participé au montage de ce projet ni à sa gestion », confirme le directeur de l’aéroport, Luc Partoune. En février 2017, Michèle Lempereur abandonnera subitement son mandat. « Afin d’éviter tout amalgame avec ma vie privée et parce que je venais d’accepter une mission pour Nethys, qui est actionnaire de Liège Airport », dit-elle. « Le scandale Publifin avait éclaté quelques semaines plus tôt. Nous en avons discuté, j’étais d’accord avec son choix », embraye Willy Demeyer.

Le carnet d’adresses de la veuve de Guy Mathot s’étend bien au-delà du périmètre de la province de Liège. Son mari, après tout, fut plusieurs fois ministre fédéral. Cela crée des liens qui transcendent les frontières provinciales et linguistiques. Ainsi, début 2011, Michèle Lempereur est aperçue à une réunion sous forme de repas au Senza Nome, un restaurant italien étoilé alors situé rue Royale Sainte-Marie, à Bruxelles, juste à côté des Halles de Schaerbeek. À table, des représentants du monde immobilier, de la police fédérale et plusieurs intermédiaires politiques. Le sujet du jour ? Le déménagement de la police fédérale vers l’ex-Cité administrative de Bruxelles, qui appartient alors à un consortium belgo-néerlandais – Immobel (40 %) et Breevast (60 %). Étonnamment, la décision, pas banale, de regrouper la police fédérale à cet endroit a été prise en décembre 2010, alors que le gouvernement était en affaires courantes.

Outre Michèle Lempereur, se trouvaient au Senza Nome plusieurs personnalités dont l’intrigant Luc Joris (homme du PS déchu, alors proche d’Elio Di Rupo), Koen Blijweert (lobbyiste et homme d’affaires flamand dans l’orbite de la N-VA), Jean-Claude Fontinoy (fidèle bras droit du MR Didier Reynders), Jean-Louis Mazy (Immobel et chef de cabinet adjoint de Guy Coëme lors de l’affaire Agusta) et Glenn Audenaert (directeur de la police judiciaire fédérale de Bruxelles). Michèle Lempereur nous a confirmé les connaître tous, ce qui donne une idée de l’ampleur de son réseau. Mais elle dit ne pas être intervenue dans ce dossier. Que faisait-elle, dès lors, autour de la table ? Elle ne s’en souvient pas.

Une chose est sûre : elle n’était pas en terre inconnue. Koen Blijweert, 61 ans, est le parrain laïc qu’elle a choisi pour sa fille Julie Mathot. Un parrain généreux. À la fin 2014, le richissime businessman de Knokke offre à sa filleule une Mercedes Classe GLA flambant neuve pour ses 18 ans. Un petit bolide dont le modèle d’entrée de gamme coûte quelque 30 000 euros. « J’ai eu de la chance, je ne m’en cache pas », répond Julie. « Ça ne m’a pas fait plaisir, je la voyais plutôt avec une petite voiture d’occasion », réagit sa mère. En mars 2017, soupçonné d’avoir corrompu Glenn Audenaert, Koen Blijweert est incarcéré une dizaine de jours. Lobbyiste de haut vol, il est surtout connu pour avoir participé à la fin du mois d’août 2010 au fameux déjeuner chez Bruneau, à Ganshoren, où il avait réuni confidentiellement des délégations de la N-VA (Bart De Wever, Siegfried Bracke) et du MR (Didier Reynders, Louis Michel, Jean-Claude Fontinoy), alors que la N-VA négociait avec Elio Di Rupo en vue de former un gouvernement fédéral. C’est ce jour-là que furent semés les germes de la collaboration entre les deux partis qui débouchera, en 2014, sur la mise en place du gouvernement Michel.

En bords de Meuse, Michèle Lempereur avait déjà croisé Luc Joris et Jean-Claude Fontinoy au conseil d’administration d’Eurogare, filiale liégeoise de la SNCB dont elle fut administratrice de 2005 à 2010. À Liège toujours, elle est très proche de Nethys, filiale opérationnelle de l’intercommunale Publifin. Administratrice depuis 2005 de BeTV, filiale de Nethys, elle est également consultante depuis 2016 pour les Éditions de l’Avenir, autre filiale du groupe liégeois. Lorsqu’elle se retrouvait au CA de Liège Airport, contrôlé par Nethys, représentait-elle vraiment les intérêts du gouvernement wallon, sur le quota duquel elle siégeait, ou ceux du groupe contrôlé par Stéphane Moreau ? La mission de Michèle Lempereur aux Éditions de l’Avenir est simple : « J’y suis commerciale », précise-t-elle. Selon les informations recoupées par Wilfried, ce nouvel état de service a débuté en juillet 2016 pour une rémunération brute – au nom de Konecto, une société créée avec son fils – de 6 000 euros par mois. Son principal fait d’armes, en vingt mois de service, à côté de réunions organisées dans des écoles pour les inciter à s’abonner au Journal des Enfants (JDE), a été de vendre un publi-rédactionnel au cabinet du ministre Marcourt diffusé dans ce même JDE. En conséquence, son émolument forfaitaire a été sensiblement revu à la baisse dès le printemps 2017…

« Je n’ai pas d’influence sur la politique de Willy Demeyer, il vit sa vie et je fais mes trucs. C’est une relation mature… »

Est-ce aussi avec sa carte de visite Konecto – ou d’une de ses autres sociétés, Scando ou Equidream – qu’elle accompagnait, l’an passé, une délégation du promoteur immobilier flamand Groep Vanhee en visite à Liège ? Un témoin résume la scène : « Ce promoteur souhaitait construire un magasin Lidl sur un terrain à vendre en bordure du boulevard Poincaré. Son rôle à elle était de les épauler dans l’obtention des permis et autorisations. Ils n’ont pas eu le permis, mais auraient réintroduit une deuxième demande. La personne qui bloque le projet au sein de l’administration pourrait partir prochainement vers d’autres fonctions. » Michèle Lempereur déroule une autre version : « Ce groupe flamand est effectivement venu vers moi et m’a parlé de son projet. Je suis allée voir sur place, mais je leur ai répondu que je ne pouvais rien faire. Comment voulez-vous que j’influence la délivrance de permis ? » Puis, revenant sur sa liaison avec le bourgmestre : « Je n’ai pas d’influence sur la politique de Willy Demeyer, il vit sa vie et je fais mes trucs. C’est une relation mature… »

De ses nombreux clients, Michèle Lempereur ne souhaite pas parler, «par souci de confidentialité ». En revanche, elle dément avoir été rémunérée par les organisateurs du Jumping de Liège, auquel participe sa fille Julie : « Cette compétition était compromise, il manquait 50 000 euros environ pour l’organiser en 2014. Je les ai aidés bénévolement en faisant jouer mon réseau : j’ai pu amener des entreprises pour occuper les tables VIP, la Loterie nationale est intervenue comme sponsor, etc. »

Cette légitime discrétion qu’elle doit aux clients empêche de faire l’inventaire de ses prestations ces dernières années. C’est là le cœur du mystère Lempereur : la confidentialité de ses affaires conjuguée au manque de transparence des pouvoirs publics. Wilfried a toutefois appris qu’elle est également intervenue comme commerciale pour les ascenseurs Kone (12 000 euros en 2014), pour TPF Utilities, pour Siemens…

My way, chantait Frank Sinatra.

« Une vie vécue à ma façon », fredonne Michèle Lempereur.

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