François De Smet et Georges-Louis Bouchez, le pacte des présidents

N°10 / Hiver 2020
Journaliste François Brabant
Journaliste Quentin Jardon

Le succès de la N-VA n’est-il pas dû, justement, à la mise en récit de son antagonisme avec les Wallonie ?
GLB. Non, l’opposition avec les Wallons, ça compte pour moins de 10 %… Ça, c’était l’époque traditionnelle de la N-VA. Ce parti a percé le plafond nationaliste le jour où il a présenté un discours socio-économique et sécuritaire construit, quand il a pris tous les attributs des grands mouvements de la droite conservatrice européenne. Nous, ça nous a choqués parce qu’on n’avait pas l’habitude. Pour la première fois en Flandre, et c’est ça la grande surprise et le grand drame de l’Open VLD, a émergé un vrai parti de droite conservatrice, où s’est logée une majeure partie de l’électorat VLD.

En Wallonie, on a connu le Parti populaire de l’avocat Mischaël Modrikamen, qui avait repris peu ou prou la posture de la N-VA sur les questions migratoires, sécuritaires et socio-économiques. En dix ans d’existence, il n’a jamais atteint les 5 %.
GLB
. Oui, mais la grande différence, c’est la personnalité du leader. Bart De Wever, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, c’est une machine politique. Avec le respect que je dois aux personnes, Modrikamen… enfin voilà. D’ailleurs, grâce à quoi De Wever est-il devenu si populaire ? Le show télé De Slimste Mens. Rappelez-vous, c’était l’époque De Wever big size. Il était sympa aux yeux des gens, il disait des choses très dures mais avec une telle bonhomie que ça ne paraissait pas violent ni agressif.

Le bourgmestre d’Anvers reconnaissait toutefois ceci : « Nous, les Flamands, nous sommes les plus latins des peuples germaniques. Vous, les Wallons, vous êtes les plus germaniques des peuples latins. Parfois, on a le meilleur des deux mondes, parfois le pire. » Vous, à titre personnel, vous vous sentez plutôt germanique ou plutôt latin ?
GLB
. Un jour, j’ai eu cette discussion avec Charles Michel, avec qui mon amitié ne fait pas de mystère. Je suis en train de lui confier quelque chose, il me répond : « Tu ne dois pas me le dire, je le sais ». Et je rétorque : « Mais moi je suis latin, j’ai besoin de te le dire, donc je te le dis ». Lui, c’est quelqu’un d’un peu plus germanique. Il est plus poisson froid.
FDS. Pour ma part, comme Bruxellois, j’espère prendre le meilleur des deux mondes. J’aime ça, dans notre pays, le mélange entre une mentalité parfois plus germanique et rationnelle, et un côté latin, plus spontané. Je crois que les Bruxellois ont un peu les deux, sans vouloir être chauvin.

Au cours des années 2000, vos deux partis sont peut-être ceux qui se sont le plus farouchement opposés à la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), en menant une guérilla d’enfer pour l’éviter. Finalement, les Belges francophones l’ont quand même avalée, la scission. Quand on voit le poison que ce sujet a constitué, et à quel point il a servi de combustible aux partis nationalistes flamands… N’y a-t-il pas un énorme mea culpa à faire dans le chef des partis francophones ? Si on avait scindé BHV dès 2005 ou 2007, la Belgique ne serait peut-être pas dans un tel bourbier à l’heure où l’on se parle.
GLB. Personne n’en souffre, d’ailleurs. L’arrondissement, il est scindé. Et après ? Ça va même mieux en matière de justice !

C’est pourtant votre propre parti qui disait : « Pas de scission sans élargissement de Bruxelles ! Le jour où on scinde BHV, c’est la fin de la Belgique ! »
GLB. Je suis tout à fait d’accord. Lorsqu’on n’a pas de projet, on fait dans le symbole. À chaque fois que les francophones ont participé aux réformes de l’État, ils n’avaient pas de projet. En général, ils acceptaient au bout d’un temps les revendications flamandes, par usure. Et en échange d’un petit chèque. On disait : « Bah, on va prendre ce petit chèque et on va y aller ». C’est pour ça que, en vue de la prochaine réforme — puisque manifestement il y en aura une, je ne suis pas demandeur mais réaliste —, je souhaite que les présidents de parti se réunissent pour construire un projet francophone fort, indispensable à la stabilité de la Belgique. Comme ça, l’invitation est déjà lancée à François.
FDS. Je suis en accord et en désaccord avec ce que tu dis. Le désaccord, c’est sur le fait que tout serait merveilleux en périphérie bruxelloise, en dépit de la scission de BHV. De nombreux francophones commencent à se sentir abandonnés. Ce n’est pas l’apartheid, mais quand même, il n’est pas insensé de continuer à défendre les francophones en périphérie. L’accord que j’ai avec toi, mais qui est fondamental — je pense que ce qui nous unit est plus intéressant que ce qui nous sépare…
GLB. On était dans la même famille il n’y a pas si longtemps…
FDS. On doit arrêter de s’amener à une table de négociation en n’étant demandeurs de rien. Il nous faut un agenda francophone commun. On ne pourra pas convaincre nos amis flamands, en tout cas les plus rationnels et démocrates que nous aurons en face de nous, si nous ne donnons pas l’impression d’être unis. Par le passé, on a accepté des réformes de l’État irrationnelles et parfois destructrices à cause de notre propre division.

Faut-il que ce projet d’union prospère au départ d’une identité ciblée — par exemple wallonne, francophone, belge ?
FDS. Pour moi, la plupart des Belges francophones veulent continuer à vivre en Belgique. Ils ne veulent appartenir ni à une République flamande, ni à une Bruxelles indépendante, ni à un État Wallonie-Bruxelles, ni à la France. On doit se mobiliser pour soigner cet homme malade de la politique belge qu’est l’État fédéral, pour le fortifier avec nos amis flamands. Ce qui ne doit pas nous empêcher de préparer un plan B au cas où, un jour, une majorité démocratique en Flandre souhaiterait partir.

Est-ce possible d’avoir deux fers au feu, de vouloir rendre la Belgique plus aimable et en même temps de préparer le plan B ?
GLB. La seule solution pour que la Belgique soit forte et prospère, c’est que les francophones prennent leur destin en main. Je dis bien : les francophones. Moi, je ne suis pas un régionaliste, je tiens beaucoup plus à l’identité francophone qu’à l’identité régionale. On ne parle pas d’une nation francophone qui serait indépendante, mais d’une structure francophone suffisamment solide pour se rendre à une table de discussion sans complexe d’infériorité, sans tendre la main parce qu’elle aurait besoin d’argent.

Ça signifie encore quelque chose, la Belgique, pour vous ?
FDS. Toutes les nations sont artificielles. La France porte finalement le nom d’un envahisseur, les Francs, et sa religion est une importation moyen-orientale. Nos ancêtres les Gaulois, ils ne passaient pas leur première communion, ils cueillaient du gui et faisaient des sacrifices humains. La Belgique a ceci de particulier que c’est une nation aussi artificielle que n’importe quelle autre, mais elle est l’une des seules à en avoir conscience. Et à nourrir à partir de cette conscience une identité unique — on le voit dans ses arts, son humour, et peut-être même sa manière de faire de la politique. En philosophie, on dit que la contingence, c’est le contraire de la nécessité. La Belgique sait qu’elle est contingente et je trouve que c’est précieux. Pour cette raison-là, oui, je confesse un vrai attachement à notre pays.
GLB. Moi aussi, je suis extrêmement attaché à mon pays. Je suis unitariste. Je vais même vous dire : je pense qu’il faudrait tout remettre au niveau fédéral. Moi, je suis pour un État unitaire. Je ne parle pas d’efficacité quand je vous dis ça, mais d’attachement sentimental. Je tiens très fort à la Brabançonne, au drapeau… Je suis profondément Belge, quoi, parce qu’on a une identité totalement différente des autres.

Wilfried N°10 - Le circuit franco-belge


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