Atlas : Au pays des dimanches noirs

N°24 / Automne 2023
Journaliste François Brabant
Infographiste Claire Allard
Infographiste Raphaëlle Kern

Cette Flandre qui résiste à l’extrême droite

 

Non, toute la Flandre ne plébiscite pas le Vlaams Belang. Zoom sur ces lieux qui, lors du rendez-vous électoral de 2019, étaient à contre-courant de la tendance régionale.

Flandre-Orientale

Laethem-Saint-Martin est la commune la plus riche de Belgique : le revenu moyen y est 57 % plus élevé que la moyenne belge. C’est aussi l’une de celles où l’on vote le moins Vlaams Belang. Dans cette localité située au sud-ouest de Gand, bordée par la Lys et jadis prisée des artistes, ce sont la N-VA et l’Open VLD qui triomphent. Le Vlaams Belang arrive loin derrière, avec 7,1 %. À De Pinte, commune voisine, le CD&V mène la danse, devant la N-VA et l’Open VLD. Le VB n’y collecte que 8,3 % des voix. Située à un jet de pierre, la ville de Gand détonne également par rapport au reste de la Flandre : Groen y est le premier parti (20,8 %). En cinquième position, le VB (12,1 %) est talonné par le PTB (11,3 %).

Limbourg

Une curiosité ! Herstappe, village hesbignon situé entre Tongres et Waremme, est la plus petite commune de Belgique : à peine 77 habi-tants. Une poignée de maisons et de fermes en briques rouges et tuiles orangées, et des champs tout autour. De caractère bilingue, accolée à la frontière linguistique, Herstappe est une commune à facilités pour les francophones. Le Belang y a obtenu très exactement cinq voix, soit 8,5 % des suffrages.

Anvers

Score écrasant pour la N-VA à Hove : 41 %. La commune est la deuxième plus riche de Belgique. Le Vlaams Belang n’y pèse que 8 %. Même sociologie à Edegem, dans la périphé-rie sud d’Anvers, verte et aérée : 42,5 % pour la N-VA ; 10,3 % pour le VB.

Flandre-Occidentale

Coxyde est, en Flandre-Occidentale, la commune avec le moins bon résultat du Vlaams Belang : 10,6 %. Deux fois moins que la moyenne provinciale. Le vent du large, propre à aérer les consciences, ne suffit pas à expliquer un tel décalage. Dans d’autres communes du littoral (Bredene, La Panne, Nieuport), le VB affiche en effet des scores supérieurs à 20 %.
De nombreux francophones vivent à Coxyde, huitième commune la plus riche de Belgique. C’est aussi un bastion du nationalisme flamand historique. Sander Loones, député N-VA, y est conseiller communal. Son père, Jan Loones, en a été échevin Volksunie. Ses grands-parents, Honoré Loones et Rosa Dewitte, ont tous les deux été bourgmestres d’Oostduinkerque, aujourd’hui intégrée à la commune de Coxyde. Avec 35 %, la N-VA y était de loin le premier parti en 2019.

Rand

À l’exception des six communes à facilités, largement voire majoritairement francophones. Hoeilaart est, de toute la Flandre, celle qui vote le moins Vlaams Belang : 5,8 %. L’Open VLD y était le premier parti en 2019. L’extrême droite est également faible dans les autres communes du Rand, à Overijse (8,2 %), Zaventem (6,3 %) ou Tervuren (7,6 %).
Dans ces communes de la périphérie bruxel-loise, plutôt favorisées, deux facteurs jouent sans doute : la grande proportion d’habitants francophones ; la proximité de Bruxelles et de sa diversité. Le démographe français Hervé Le Bras l’a récemment souligné dans une interview au Monde : « Si on descend au niveau communal, la corrélation s’inverse. Plus il y a d’immigrés, moins on vote pour l’extrême droite […] Pour les personnes qui vivent au contact de l’immigration, être anti-immigrés n’a pas de sens, parce que les immigrés sont extraordinairement présents et divers. C’est une catégorie qui est vide de sens. »

Brabant flamand

Lors des élections de 2019, ce fut la partie de Flandre qui a le mieux résisté à l’offensive de l’extrême droite. Les communes comprises entre Bruxelles et Louvain ont relativement peu voté Vlaams Belang. Mais l’interprétation de ce résultat n’est pas simple. Car dans cette partie du Brabant flamand, la N-VA a dû son salut à sa star locale, Theo Francken, figure de l’aile droite du parti, et tenant d’une ligne dure sur les questions migratoires. « Je lis vos textes, parfois je m’en inspire. Sur ce terrain, vous avez énormément conscientisé, c’est méritoire », déclarait Francken le 22 novembre 2018, dans un débat avec Tom Van Grieken (des propos ensuite relayés par L’Écho).
Il arrive donc, parfois, que l’électeur préf-ère la copie à l’original. Avec pour résultat une N-VA toute puissante (35,6 %) et un Belang qui mord la poussière à Lubbeek (9,9 %), fief de Theo Francken, ainsi qu’à Oud-Heverlee (7,5 %), Bierbeek (8,74 %) ou encore Herent (9,9 %). Dans la ville voisine de Louvain, c’est Groen qui arrive en première position (24 %) ; le VB n’y représente que 7 % des électeurs.

En Wallonie, une droite radicale morcelée mais un vivier toujours présent

En Wallonie, l’offre politique à la droite de la droite est émiet-tée. Lors des élections de mai 2019, sept listes (PP, Lidem, Agir, La Droite, V laams Belang, Nation, Les Belges d’abord) étaient en concurrence dans cet espace. Sans qu’il soit toujours aisé de les qualifier. Droite nationale ? Droite radicale ? Droite dure ? Extrême droite ? Identitaires ? Ultraconservateurs ? Néofascistes ?

Des différences substantielles apparaissaient entre ces listes, mais des éléments communs apparaissaient : un discours hostile à l’immigration, la mise en avant de l’ordre et de la sécurité.

Les Libéraux démocrates (Lidem), un parti fondé par Alain Destexhe, ancien sénateur MR, entendent occuper un créneau vacant en Belgique francophone : une ligne libérale-conservatrice. Destexhe affirme que son parti est le pendant francophone de la N-VA.

Lancé par l’avocat Mischaël Modrikamen, le Parti populaire (PP) s’est de plus en plus radicalisé, comme l’observait Jérôme Jamin, professeur de sciences politiques à l’ULiège, dans une interview à La Libre en 2019. « Lors de la campagne pour les élections communales du 14 octobre 2018, le PP a diffusé des vidéos où son leader Mischaël Modrikamen associe les réfugiés à des djihadistes, à des voleurs, à des agresseurs. Par la multiplication de ces vidéos et par les agressions verbales formulées par le chef, le PP a connu un basculement vers l’extrême droite. »
Le Vlaams Belang se présentait aussi, en 2019, dans les cinq provinces wallonnes — aussi étrange que cela puisse paraître pour un parti séparatiste flamand. Il a notamment recueilli 1,13 % des voix dans le Hainaut.
Si le morcellement de la droite dure ne lui a pas permis de peser sur le scrutin, son poids cumulé est loin d’être insignifiant. Il y a manifestement un vivier en Wallonie pour une offre de ce type. Rien que dans le Hainaut, les six listes de droite radicale qui étaient en lice ont recueilli 58 315 voix, soit 8 %. Cette donne n’est sans doute pas sans incidence sur le choix stratégique de Georges-Louis Bouchez, le président montois du MR, de droitiser son discours, afin d’occuper tout l’espace à droite et empêcher l’émergence d’un nouvel acteur qui le déborderait.
Comme en 1994 et 1995, ce sont en Wallonie les anciennes zones industriel-les (voir les résultats à Charleroi, Châtelet, Seraing et Verviers) qui apparaissent le plus perméables aux partis de la droite dure.

Notes de bas de page

1. Référence au slogan historique du Vlaams Blok, eigen volk eerst, « notre peuple d’abord ».

Sources carto :

Open street map

Sources :

Xavier Mabille, Nouvelle histoire politique de la Belgique, Crisp, 2011.
Bruno De Wever, Greep naar de macht, Lannoo, 1994.
Pascal Delwit, Jean-Michel De Waele et Andrea Rea, L’extrême droite en France et en Belgique, Complexe, 1998.
Données électorales du SPF Intérieur et des Régions flamande, bruxelloise et wallonne.

 

 

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